Un siècle de novembre
Un siècle de novembre, de l'américain Walter D. Wetherell, est un livre bouleversant. La traduction de Lori Saint-Martin et Paul Gagné est excellente. Les lecteurs qui choisissent un livre par sa première phrase seront sans doute attirée par celle-ci : «Il jugeait les hommes et cultivait des pommes, et cet automne-là n’était propice ni à la justice ni aux vergers.» Il s'agit de l'automne 1918, juste avant l'armistice de la Première Guerre mondiale. Trois semaines après le décès de sa femme (de la grippe espagnole), Charles Marden reçoit la lettre officielle qui lui apprend la disparition de son fils unique dans la mêlée des Flandres. Il jette quelques vêtements dans un sac de voyage et quitte immédiatement l'île de Vancouver. «Jamais Marden n'oublierait le calme qui régnait ce soir-là. Dans le couchant, les rares plis se lissaient, viraient à l'indigo puis au violet. C'était comme si la proue du bateau de Cooper découpait de la soie.»
Après avoir traversé le Canada en train jusqu'à Halifax, Marden s'embarque pour l'Angleterre sur un bateau plein de veuves. La nuit, le son des pleurs envahit le navire. Marden arrive à Londres le 11 novembre, le jour de l'armistice, puis traverse la Manche avec une foule de «pélerins», des parents et épouses de soldats «disparus». Il finit par arriver en Belgique, à Ypres.
Photo : Escarpement de la tranchée internationale, Ypres, avril et mai 1919 (Archives nationales du Canada)
Il erre dans un paysage où ne susbsistent que ruines, tranchées effondrées, cratères, sillons, trous d'obus. Un paysage infernal, où des obus non explosés sautent et en font détonner d'autres, où divers dangers quettent les pélerins, comme les soldats de cette guerre à peine terminée. «Il n'y a pas que les obus et les gaz. S'il pleut il y a aussi la boue. Il y a eu plus de noyés que de tués par balles. On n'en a pas parlé dans les journaux. Pourtant c'est la vérité. »
Des traces de la vie quotidienne des soldats subsistent : «Le sol était jonché de boîtes de conserve vides. [...] Les plus anciennes étaient noires de rouille, mais, sur bon nombre d'entre elles, on voyait une étiquette lisible. Des boîtes de sardines, des pots de marmelade, une étiquette jaune vif sur laquelle étaient écrits les mots Fortnum & Mason, des tubes de «Harrison's Pomade» [un onguent contre les poux]. [...] La première bande s'étirait sur une vingtaine de mètres. Ensuite, après un secteur presque entièrement dépourvu de boîtes, Marden découvrit un nouveau filon : des étiquettes allemandes. Moins de soixante mètres séparaient les boîtes de conserve britanniques des boîtes allemandes.»
La nuit est parsemée d'étrange lueurs. «Ici, des gaz avaient pris feu, malgré la pluie – ils formaient de petites vasques de flammes bleues, semblables à un millier de brûleurs.»
En lisant ces évocations des tranchées de la Première Guerre mondiale, je pensais au terrible film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la Gloire (Paths of Glory), où des officiers incompétents et insensibles envoient leurs hommes à la boucherie dans des assauts insensés. Et je pensais à l'Afghanistan et à l'Irak, où chaque semaine des soldats (et des civils) meurent.
Voici le récit d'un incident de la Première Guerre que j'ai trouvé en faisant des recherches sur Ypres. Il s'agit du même événement évoqué (de façon très romancée) dans le film Joyeux Noël, de Christian Carion.
La Trêve de Noël
A Noël, les soldats du front occidental étaient épuisés et choqués par l'étendue des pertes humaines qu'ils avaient subies depuis le mois d'août. Au petit matin du 25 décembre, les Britanniques qui tenaient les tranchées autour de la ville belge d'Ypres entendirent des chants de Noël venir des positions ennemies, puis découvrirent que des sapins de Noël étaient placés le long des tranchées allemandes. Lentement, des colonnes de soldats allemands sortirent de leurs tranchées et avancèrent jusqu'au milieu du no man's land, où ils appelèrent les Britanniques à venir les rejoindre. Les deux camps se rencontrèrent au milieu d'un paysage dévasté par les obus, échangèrent des cadeaux, discutèrent et jouèrent au football. Ce genre de trêve fut courant là ou les troupes britanniques et allemandes se faisaient face, et la fraternisation se poursuivit encore par endroits pendant une semaine jusqu'à ce que les autorités militaires y mettent un frein. (Source : Wikipedia)
Les soldats des divers camps ont en effet souvent bien plus en commun les uns avec les autres qu'avec leurs propres officiers. Les soldats, quelque soit leur origine, sont en général des paysans, des ouvriers, des petits artisans. Leurs officiers sont d'une autre classe, d'un autre monde.
Un dernier film qui m'est venu à l'esprit en lisant ce livre : Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire